The King in Yellow, de Robert W. Chambers

The King in Yellow, de Robert W. ChambersSkyrim est une drogue dure, une fois qu’on y a goûté il est difficile de le lâcher… J’ai tout de même trouvé le temps de lire le Roi en Jaune de Chambers. Intrigué par sa réputation, le livre original ayant été éclipsé par son personnage, intéressé pour en faire un thème des Mystères du Temps (quand on y fait attention c’est fou le nombre de dieux, de rois et de mouvements associés à la couleur jaune), mis en bouche par les quelques extraits que j’ai pu en lire et les retours d’un soirée enquête sur ce thème, j’ai cherché l’ouvrage. Difficilement trouvable en français, j’ai opté pour la VO, pas chère du tout sur Amazon, le livre, un recueil de nouvelles comme je m’en suis aperçu à la réception, étant d’ailleurs plus petit qu’escompté.

The King and the Pallid Mask

Souvent associé à Lovecraft et au mythe de Cthulhu, en vérité bien moins présent dans les travaux d’écrivain que dans ceux ayant récupéré son univers, le Roi en Jaune est dans son été d’origine plus un livre, un mythe, qu’un personnage à par entière. Sur les dix nouvelles, seulement les quatre premières portent sur ce thème. Pas forcément le ressort principal de l’intrigue on y voit tout de même apparaître « The King in Yellow« , une pièce de théâtre maudite poussant à la folie ceux qui ont la témérité de lire son second acte. Parfois l’ombre du Roi lui-même plane sur les protagonistes de la nouvelle, parfois son Signe Jaune apparaît griffonné sur un papier au détour d’une ruelle…

Ces quatre nouvelles mettent bien en évidence la parenté littéraire entre Chambers et Lovecraft. Le style est d’apparence factuel et élégant quand il décrit la vie quotidienne, les rencontres banales, légèrement méprisant ou admiratif pour les autres personnages, en tout cas jamais neutre. Il porte le regard du lecteur entre romantisme et décadence dans une ville de New York futuriste ou un quartier de Paris nostalgique. Ce regard est déséquilibré, dans son point de vue où toujours une chose lui inspire un sentiment extrême qui teinte tout jugement, dans sa description où ce qu’il ne décrit pas pèse comme une menace à la frange du champ de compréhension du lecteur.

Petit à petit une ambiance pesante, une aura de mystère tendue sur l’angoisse des personnages, s’installe. Le lecteur sent et appelle le dénouement pour trancher dans le brouillard entre le personnage principal et une « réalité » troublée. Mais avant ce paroxysme surgit « The King in Yellow« . Trainant innocemment sur une cheminée, lu par erreur ou par désœuvrement, le livre maudit et ses thèmes précipitent l’apparition d’éléments fantastiques. L’horreur est celle de Poe : non dite ou si peu… À peine décrite, elle envahit l’histoire par touches impressionnistes, Chambers préférant lancer au lecteur des noms de lieux inconnus, presque incantatoires, menaçants :

Night fell and the hours dragged on, but still we murmured to each other of the King and the Pallid Mask, and midnight sounded from the misty spires in the fog-wrapped city. We spoke of Hastur and of Cassilda, while outside the fog rolled against the blank window-panes as the cloud waves roll and break on the shores of Hali.

C’est ici qu’on trouve la plus claire inspiration pour Lovecraft, il use de la même ficelle quand il est question de Grands Anciens et de livres impies rédigés par des fous et lus par des dilettantes trop curieux.

La cueillette des moules en Bretagne profonde

L’histoire suivante, The Demoiselle d’Ys, est d’un tout autre tonneau. L’atmosphère y est celle de l’amour courtois, des histoires galantes et voit un jeune américain de bonne société se perdre dans la brume des landes bretonnes. Agréable à lire, véritable détente après le climat brumeux des nouvelles précédentes, moins ambitieuse aussi. Petite promenade champêtre où l’auteur met en avant sa connaissance de la langue française, et de la fauconnerie, faisant assaut d’esprit et de belles phrases.

Si elle ne dépareille pas le recueil en qualité, cette nouvelle change de ton un peu violemment par rapport aux précédentes et j’avoue que ce choix d’édition m’est resté en travers de la gorge.

C’est d’autant plus regrettable qu’elle est suivie de The Prophet’s Paradise. Pour le coup on renoue avec l’atmosphère trouble des premières nouvelles, moins sombre peut-être. Ces petits poèmes en prose sont, pour celui qui ne s’énervera pas à les interpréter, très évocateurs. Oniriques, leur forme répétitive rappelle une mélopée religieuse. Ils appellent à la rêverie sinon à la méditation.

Les Beaux Arts et leurs jeunes modèles

Les quatre dernières nouvelles se déroulent au milieu des étudiants en arts, peinture et sculpture en l’occurrence, de Paris. L’époque est vague, juste explicitée dans « The Street of the First Shell » (le siège de Paris en 1870), postérieure pour les autres, probablement celle où Chambers était lui-même étudiant à Paris. Il brosse des portraits hauts en couleurs de jeunes artistes, de leurs modèles féminins, de leurs logeuses, maîtres, etc. Toute une faune s’agite avec vigueur pour profiter de la vie dans un Paris décrit de manière précise, même si pas forcément réaliste, comme teinté par la nostalgie de l’auteur.

Diamétralement opposées aux premières nouvelles, celle-ci dégagent une joie de vivre contagieuse servie par un style enlevé mais un peu vain qui s’écoute par moment écrire et radote d’une nouvelle à l’autre. Je trouve dommageable le choix de regrouper toutes ces nouvelles dans un même recueil. L’auteur est doué certes, mais juxtaposer deux styles aussi différents donne une impression de fatras, d’un recueil facile et fourre-tout dont la première trame est inachevée et la seconde présente uniquement pour compléter le livre jusqu’à ce qu’il ait une taille standard. Ou peut-être était-ce un moyen de publier des histoires de jeunesse un peu trop macabres pour l’éditeur ?

Contes de la fée verte, de Poppy Z. Brite

Contes de la fée verteLes nouvelles se prêtent plutôt bien à la lecture dans les transports en commun, hachée par les cahots routiers, les correspondances, les esclandres, les amis qu’on n’attendait pas à voir monter à tel arrêt… Rapides à lire, souvent plus denses que les romans on peut espérer en finir une courte en un trajet, une longue en deux ou trois, sans perdre le fil comme dans un long chapitre de roman.

Du sang, des tripes et du sexe

Heureusement donc que la nouvelle soit un genre adaptée à la lecture dans le bus, car les thèmes de celles de Poppy Z. Brite ne le sont pas vraiment. C’est de l’horreur très crue, très visuelle qui met parfois le cœur au bord des lèvres. Ainsi Sa bouche aura le goût de la fée verte, nouvelle presque éponyme qu’illustre plus ou moins la couverture, aborde avec entrain zoophilie, nécrophilie et autres extrémités sexuelles. Une autre nouvelle, Calcutta , seigneur des nerfs souvent louée, décrit une invasion de zombies dont les attaques sont décrites avec un luxe de détails sanglants qui secoue les tripes. Je m’attendais à de l’horreur, mais certainement sous une forme plus feutrée.

Ceci dit ce n’est pas  en vain que le chiffon rouge et poisseux est lancé à la gueule du lecteur. Si les nouvelles peuvent choquer elles ne s’y résument pas. Sa bouche aura le goût de la fée verte est une merveille de décadentisme rappelant ces œuvres désespérées à charnière des XIXe et XXe siècles et posant un très beau et sombre personnage principal, décrivant une lente et majestueuse descente vers l’enfer. La tension entre la laideur des actes et la beauté de l’écriture monte crescendo, mettant le lecteur hors d’haleine, espérant une catharsis finale.

Calcutta , seigneur des nerfs décrit la ville de Calcutta d’une manière qui marque. Les zombies n’y sont pour une fois pas représentés comme un péril mondial, un adversaire lent mais déterminé de l’humanité, mais comme la simple pauvreté qui s’infiltre partout et dévore les faibles qui n’ont plus les moyens ou les forces de lutter. C’est sale, sanglant, mais extrêmement expressif et fait un très bon usage des symboles, notamment des dieux hindous. Prise de tête à New York lui tend un miroir : version américaine où cette fois d’authentiques SDF apparaissent comme des zombies.

La légère douceur du désespoir

Ceci dit les autres nouvelles sont dans l’ensemble moins poussées dans le gore, plus calmes. Toutes ont par contre cette ambiance caractéristique, mélangeant l’impuissance du héros et un cadre glauque dans une grande bassine douce-amère. Musique en option pour voix et piano par exemple est remplie d’espoir, celui d’une jeune star qui cherche comment éviter que la beauté de sa voix ne tue ses adorateurs. Confronté à sa propre nature il lutte (et triomphe !) jusqu’à ses dernières forces.

Cette lutte contre un monde ou une nature hostile est une constante. Dans Anges c’est contre leur séparation que des jumeaux, anciens siamois, luttent de toutes leurs forces de moitié d’enfants. Si la nouvelle prend son temps pour démarrer la fin est impressionnante. Le Conte géorgien va dans la même veine, en donnant une autre version avec des personnages plus âgés où l’un reste tandis que l’autre disparaît.

Paternité et Cendres du souvenir, poussière du désir, les deux dernières nouvelles du recueil s’attaquent à la famille, mettant en scène deux attitudes face à la venue d’un enfant, livrant au final un message tragique car ici s’attacher signifie perdre et mourir, sans que le destin ni la nature des personnages leur laisse un échappatoire.

Le fantastique, une horreur quotidienne

Je ne vais pas détailler toutes les nouvelles. Il me suffit de dire que Xénophobie, La sixième sentinelle, Disparu et Traces de pas dans l’eau sont d’une veine fantastique plus classique où l’horreur procède moins des viscères que de la mélancolie des histoires ici contées, l’exotisme du vaudou ou des rites traditionnels chinois faisant son œuvre en matière d’ambiance.

Mais toutes ces nouvelles distillent une ambiance sombre, lourde de menaces. Le fantastique ne sourd de la tapisserie rapiécée de la réalité quotidienne des personnages, la nôtre car contemporaine, que pour en souligner l’horreur (pauvreté, racisme, solitude, violence, etc.) qui sinon est trop habituelle pour vraiment choquer. L’écriture est dans l’ensemble magnifique, pas dans la retenue certainement, mais évitant un baroque trop éhonté, précise dans l’horreur gore et grâce à cela bien plus marquante qu’une litanie de tripes anonymes.

Notre-Dame-aux-Ecailles, de Mélanie Fazi

Notre-Dame-aux-EcaillesAprès le très touchant Serpentine j’ai acheté l’autre recueil de cette auteure à mon goût très douée. 12 nouvelles en moins de 300 pages, courtes et bien tracées, lancinantes ou joyeuses.

Folie ? Magie ? Horreur ?

Si le genre est celui d’un fantastique empreint de quotidien, il s’écarte à petit pas, par petites touches de ce pivot, tantôt vers le réalisme, tantôt vers le magique.

La cité travestie, jolie variation sur les sombres histoires de Venise, montre une autre version, à l’ambiance glauque et sanglante, de la ville éminemment touristique. L’intrigue est dévoilée par pans successifs, de manière assez adroite, peut-être un peu froide par rapport au personnage principal et narrateur.

En forme de dragon m’a bien plus touché. Cette histoire d’un enfant qui assiste quasiment impuissant à l’effondrement de son père sonne très vrai. L’élément fantastique y est d’ailleurs assez restreint, presque concentré dans la vision qu’a le personnage principal des adultes.

Le langage de la peau frappe fort, nouvelle sensuelle d’un amour étranger, jamais dérangeant à la narration très fluide, presque musicale, laisse loin derrière lui toutes les Twilighteries actuelles.

Le noeud cajun part de l’autre côté de l’Atlantique, dans une petite ville américaine qu’on imagine écrasée par le soleil et les croix des églises. L’atmosphère y est lourde et pesante à souhait, un genre plus condensée de celle de Sept jours pour expier par exemple.

Jeunes filles perdues cherchent seconde vie

Le train de nuit introduit un des thèmes récurrents du recueil : les jeunes filles en détresse morale. Seule au monde, fuyant son passé, sa famille, son amant, l’héroïne prend un train, la nuit, à travers la plaine… Loin des clichés habituels des films français elle cherche à se reconstruire, se retrouver, et y réussira peut-être, en tout cas la fin reste accrochée au cœur.

Les cinq soirs du lion dévie légèrement vers une fantasy légère, pleine de magie sous-jacente sur le thème du familier de la sorcière. Bien plus lumineux que les autres nouvelles du recueil celle-ci serait presque guillerette.

La danse au bord du fleuve se place sous le dur soleil espagnol, ensoleillant les décors, rendant plus claire la violence crue des sentiments des personnages. C’est bien écrit, intéressant, mais le dénouement tombe un peu à plat.

Notre-Dame-aux-Ecailles, nouvelle éponyme, est une histoire plus sobre, sombre toujours, triste, belle et prenante, très bien illustrée par la couverture du livre. Une parabole sur le cancer et la maladie  dans un jardin anglais.

Des lieux qui hantent leurs habitants

Villa Rosalie pourrait être de l’horreur et souvent les descriptions des lieux s’en approchent sans y toucher. Sans vraiment d’histoire, centrée sur une simple idée, une ambiance s’en détache tout de même, magnifiquement retranscrite. Un grand moment d’écriture un peu vain.

Mardi Gras change tout à fait dans son ton. Récit d’une touriste dans le carnaval de la Nouvelle-Orléans il n’y a que des couleurs et des rires, et quelques maisons ruinées par l’ouragan. Plus dense qu’il n’y parait au premier abord, sa fin est lancinante et reste à l’esprit longtemps après, faisant le grand écart entre la carte postale et un fantastique décadent.

Noces d’écume dépeint une petite ville en bord de mer que Lovecraft n’aurait pas reniée. On pourrait se croire à Innsmouth, quelque part au XXe siècle, avec des horreurs impies et indiscibles qui rodent sous les clapotis d’une mer verdâtre.

Un recueil de sentiments

Fantômes d’épingles conclut le recueil de fort belle manière. Avec des rappels au vaudou déjà évoqué de loin en loin dans certaines nouvelles, histoire de traumas, de résignation et de mémoire, il boucle sur les nouvelles précédentes.

Je ne peux que recommander l’achat de ce recueil très prenant, aux thèmes lancinant, qui maintient avec adresse le flou entre réalité et fantastique. Il n’est certes pas aussi percutant que Serpentine, un peu moins maîtrisé, mais tout de même de très bonne qualité.

(achat inspiré par les posts de Viinz et Efelle)

Trois Christs, de Valérie Mangin, Denis Bajram et Fabrice Neaud

Trois Christs, de Valérie Mangin, Denis Bajram et Fabrice NéaudLes bonnes histoires médiévales sont rares en bande dessinée. Du médiéval-fantastique il suffit de donner un coup de pelle dans un arbre pour en voir tomber des dizaines de livres avec elfes, héros, dragons et magiciens ; du médiéval, même teinté de fantastique, on en trouve très peu en rayons.

Un suaire bien mystérieux

Cette histoire tourne autour de la redécouverte du suaire de Turin, supposé être le linceul du Christ ayant conservé son image miraculeuse à travers les âges. Elle se déroule en Champagne au XIVe siècle et tourne autour de quatre personnages principaux : un sculpteur itinérant, un chapelain, un vieux chevalier et sa jeune femme. Lors de la consécration pascale d’une nouvelle église leurs destins vont se lier autour du fameux suaire.

Trois pistes sont explorées successivement dans le livre, trois tiers de l’histoire d’une relique dont la source est sujette à caution même au sein de l’Église de l’époque. Les transitions entre elles sont assurées par des vignettes noires et blanches de Neaud qui mettent en contexte ces trois « nouvelles ».

Un, deux, trois, soleil !

Le suaire est une vraie relique, ayant entouré et gardé l’image du Christ crucifié, abandonné à la vénération des hommes. Cette histoire est la plus poétique de toutes, quasiment une parabole, elle rappelle nombre de contes médiévaux et en transmet la sensibilité, différente des contes de fées de Grimm ou Perrault comme des récits violents de Martin ou épiques de Tolkien. Elle est plus proche de l’imaginaire décrit dans les livres de Le Goff sur la civilisation médiévale, presque piétiste. Très touchante en tout cas et étrangère à notre époque, présentant une mentalité maintenant exotique.

Le suaire est un faux, conçu pour apporter renommée et richesse à une petite église et ses commanditaires. Bien plus dure, fable cruelle tout à la fois sur la noblesse et la religion, cette histoire met mal à l’aise car certains des protagonistes y sont vraiment mauvais. Elle dépeint un moyen-âge sous un angle réaliste et violent qui choque pour notre époque (difficile d’en dire plus sans dévoiler le point culminant de l’intrigue) bien au-delà du machiavélisme des personnages, très proche de la légende noire du moyen-âge vu comme un âge sombre ayant perdu le contact avec la civilisation. Au final, venant après l’hypothèse de l’authenticité elle sert presque de repoussoir et donne envie d’y croire.

Le suaire n’est peut-être pas authentique mais nos connaissances ne permettent pas de le comprendre. Touchant à la science-fiction, notamment par la place qu’y prend la radioactivité, cette histoire apporte une touche finale bienvenue. Les hommes y apparaissent comme bien peu de choses car dans leur foi sincère soumis à des forces qui les dépassent et dont le lecteur voit bien qu’ils ne les comprennent pas. La narration y est probablement la plus intelligente, laissant dans l’ombre la question de l’authenticité de la relique pour aborder celle de la foi, plus importante ici. Elle réalise aussi la synthèse entre les deux hypothèses précédentes résolvant leurs contradictions opposées par une remise en contexte (médiéval). Elle réussit aussi de manière intelligente à recycler nos clichés de polars modernes sur le moyen-âge faits de complots et d’ordres religieux secrets.

Une étude savante et dialectique

Tout d’abord je dois dire que la forme est magnifique. Chaque histoire présente une intrigue intéressante, toujours surprenante dans ses développements. Le dessin pointilliste de Bajram y fait pleinement honneur, tout à la fois beau et expressif, agréable à l’œil par ses tons doux et ses dégradés et plein de chaleur humaine, avec une représentation très maîtrisée des visages et des attitudes des personnages principaux.

Mais au travers ces trois histoires trois ambiances bien différentes ressortent, trois approches du moyen-âge, et de la religion qui y a toujours une place centrale. Chaque regard est un cliché, transcendé par la formation historique de l’auteure qui lui donne toute sa valeur. Elle offre au final une réflexion intéressante sur ce qu’est le moyen-âge : une époque de foi bénie ? une époque sombre, violente et inculte ? une époque où l’homme se débat avec un monde qu’il ne comprend pas ? Le suaire, même si toutes les intrigues tournent autour, n’a valeur que de symbole, celle de la foi : réelle, utilisée ou laissée au doute.

Elle se permet par ailleurs une dernière pirouette et réutilisant des dessins et des textes dans les trois parties. Les protagonistes et leurs caractères sont aussi les mêmes, s’exprimant juste différemment en fonction des circonstances. Le matériel est donc le même, le traitement chaque fois différent, les interprétations divergentes. Le procédé est bien maîtrisé car il n’y a qu’une seule fois que la réutilisation d’un texte m’a semblé un peu artificielle (page 83 case 4). Le duo Mangin-Bajram a aussi su parfois faire de petits changements, changeant quelques détails dans une case (surtout dans la deuxième partie) ou en changeant le ton de certains textes (c’est manifeste dans les expressions des villageois dans la troisième partie).

J’ai en tout cas trouvé cette approche très intéressante, allant bien au-delà de l’histoire moyenâgeuse que j’attendais de cette bande dessinée. La forme et le fond vont de concert dans cette réflexion mine de rien assez poussée. C’est une rare œuvre d’auteur intelligente se prêtant parfaitement à la relecture. Le site web est enfin une bonne idée car il permet de voir de manière interactive les correspondances de textes et d’images entre les trois parties de l’œuvre.

Mother London, de Michael Moorcock

Mother London« …sur votre gauche vous pouvez voir Big Ben, superbe monument de l’époque victorienne, à son pied admiiiiirez le style néo-gothique de la House of Parliament, ne ratez pas la suuuuperbe vue de la tamise à votre droite, nous allons nous arrêter non loin, devant le Golden Plough, typique pub britannique ou nous pourrons nous régaler et admirer un cadre préservé… »

Tous ceux qui ont fait un jour ou l’autre une visite commentée d’une ville voient de quoi je parle. On passe très vite, on prend quelques instants pour regarder un monument, un lieu, saisir avec un peu de chances quelques bribes de dialogue avec les autochtones, et puis on continue. Mother London pour moi c’est ça, des sentiments et du style en plus.

Le sujet du livre est belle et bien Londres et son évolution du blitz de 195 à la fin des années Tatcher. On évite la plupart des lieux touristiques, Londres est compris comme une ville vivante, faite de voisins, de lieux à la mode, de pubs et de vieilles connaissances. Contrairement à ce qu’affirme la 4e de couverture, les personnages principaux ne servent qu’à se balader dans cette ville et à la décrire, avec le temps qui passe pour eux et pour elle et laisse ses marques, vieilles ruines ou souvenirs douloureux. L’élément fantastique n’est aussi qu’annexe, clairement pas science-fictionnesque, juste une façon de présenter les pensées de plusieurs habitants par le prisme d’un seul regard, de l’un ou l’autre des personnages.

En somme c’est un livre sur une ville, sans réelle intrigue, avec des personnages sans grand relief (mais réalistes par contre). Et là le problème c’est que Londres ça ne me parle pas à moi. Quand je lis le Voyage du Condottière de Suarès je pense à l’Italie, à ses beautés, je rêve en lisant. Mais dans Mother London Moorcock ne parle que de Londres. Il en parle très bien, sa prose est fluide, agréable, ses descriptions chatoyantes, l’enchaînement de scènes bien pensé, tissant des jeux de miroir. Mais le fond m’ennuie, ce qui est frustrant car le livre est bon voire très bon j’en suis sûr, mais ne m’intéresse pas.

 

Voyage du Condottière