Blacksad, de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido

A la faveur de mon anniversaire je suis devenu l’heureux possesseur des quatre albums (les quatre seuls à être parus à ma connaissance) de Blacksad. Cette bande dessinée raconte les aventures d’un détective privé dans une ville rappelant l’Amérique des années 50.

Les immeubles, gigantesques, toisent des rues peuplées d’une foule hétéroclite. Les quartiers pauvres, petits immeubles et maisons bien défraîchis, abritent une faune interlope et surtout dangereuse. Les grandes villas de la périphérie, presque à la campagne, sont l’écrin de mœurs douteuses. Cette imagerie est bien connue, c’est celle des romans noirs américains, de Chandler ou d’Ellroy.

Blacksad ne révolutionne pas le genre, il le maîtrise parfaitement, aussi bien par l’écriture que dans le dessin. Il a aussi sur cette époque le recul d’années de production littéraire et cinématographique. Les auteurs peuvent ainsi prendre le risque d’animaliser leurs personnages, toujours humain mais avec une tête d’animal correspondant à leur caractère. C’est bien fait, très intégré dans le dessin où le corps prend aussi parfois des poses animales, très intégré dans l’histoire où les apparences correspondent parfaitement aux animaux choisis.

Quelque part dans les ombres

Le premier tome a une histoire simple, efficace et très classique : le meurtre d’une ancienne maîtresse met le privé sur la piste d’un pourri haut placé dans une grande ville de la côte est. Le graphisme surprend tout d’abord, très libres les couleurs ne restreignent pas au trait, rappelant parfois la peinture plus que le dessin comme on peut le voir sur la couverture. Il fait peut-être par moment l’impasse sur les détails, esquissant plutôt les paysages. Il en va de même avec les personnages, des clichés du genre mine de rien assez prévisibles.

Arctic-Nation

Le tome suivant emmène le lecteur dans une banlieue pourrie, économiquement sinistrée après la fermeture d’une usine d’armement après-guerre. Blacksad y va chercher le ravisseur d’une petite fille, crime dénoncé par la maîtresse de l’école locale. Le dessin regagne ici ses droits, un peu plus classique que dans le précédent opus. Mais la grande force de cet épisode est son histoire.

Si il traite principalement du racisme (bonne idée que cet Arctic-Nation, parti d’animaux blancs, donc des neiges, qui veut se débarrasser des noirs et des métissés) cet album effleure aussi des thèmes sociaux avec la fermeture de l’usine pourvoyeuse d’emplois et le regard aux enfants, qui m’a semblé lui très moderne. C’est l’occasion cette fois de développer des personnages plus complexes. Leur passé et leurs motivations étant les éléments moteurs de l’intrigue, plus que l’enquête policière stricto-sensu, ils sont très agréablement détaillé. C’est mon album préféré.

L’Âme rouge

Le troisième est une plongée dans le monde intellectuel des années 50, la contre-culture et le maccarthysme. Le rouge du titre est d’abord celui des communistes, réels ou supposés, et celui de la passion, en Blacksad et une belle auteure. Le dessin se normalise quelque peu tout en restant de très belle facture : les angles de vue sont plus classiques, moins de plongées et de contre-plongées, plus de dialogues, les visages animaux sont moins présents, plus humains.

Le scénario est aussi légèrement en dessous. Pas qu’il ne soit pas intelligent, au contraire il est même plutôt retors avec plusieurs fausses pistes. Mais certains développements sont un chouïa trop tirés par les cheveux à mon goût, en tout cas par rapport à l’ensemble de la BD, par ailleurs très réaliste. Peut-être aussi que trop de personnages sont présentés, faisant perdre de leur impact aux principaux, l’intrigue amoureuse ralentissant un peu trop rythme. Ce n’est pas mauvais, loin de là c’est même très bon, juste en-dessous d’Arctic-Nation.

L’Enfer, le silence

Enfin le dernier, intitulé avec goût, part à la Nouvelle-Orléans, dans le milieu des jazzmen et de leurs producteurs. Comme d’habitude les auteurs maîtrisent les codes : entre le pénitencier, la drogue et le vaudou l’ambiance est extrêmement bien rendue, plus particulière aussi, grâce au lieu choisi, que celle des albums précédents. Le dessin fourmille de détails anodins qui font de chaque planche un régal à lire puis à parcourir à nouveau, l’œil gourmand.

Le personnage de Weekly, sidekick depuis Arctic-Nation, prend enfin toute son ampleur avec quelques planches qui lui sont vraiment consacrées, pas juste en tant qu’auxiliaire fidèle. Les différents musiciens et le producteur ont chacun leur lot de motivations, humaine et cohérentes je précise, qui se révèlent peu à peu. L’enquête elle-même n’est pas sans surprises avec un dénouement qui satisfait pleinement la curiosité. C’est après Arctic-Nation mon préféré.

Alors certes Blacksad ne révolutionne pas la bande dessinée et il emprunte beaucoup à d’autres œuvres, mais c’est pour moi un classique, court et nerveux avec plus de profondeur et de détails à creuser qu’on pourrait le penser pour du roman de gare.

Le peuple du vent, de Viviane Moore

Le peuple du vent, de Viviane MooreJ’ai pris ce petit roman, comptant une histoire de mort dans un petit château normand, parce qu’il me fallait en acheter deux pour en avoir un gratuit sur un stand d’Étonnants Voyageurs (et l’auteur devant venir en dédicace autant en prendre un signé), même si l’autre livre de Viviane Moore que j’avais lu était plus sympathique que passionnant. Je dois dire aussi que ce genre de bouquin est une bonne source d’idée pour mes parties d’Ars Magica, ou même de Mystères de Temps.  Au final l’auteur n’est pas venue, en tout cas je suis parti avant, mais le livre gratuit était pas mal du tout.

Toujours par deux ils vont…

…un maître et un apprenti, arpentant les routes de la Normandie médiévale, allant de château en château… Et je suppose résolvant gaillardement des mystères tout au long de leur périple. Le procédé est simple, avec le maître à la place de l’auteur, détective à l’anglaise, qui guide le jeune apprenti (et le lecteur évidemment) sur les traces du meurtrier. Umberto Eco faisait de même dans Le Nom de la Rose, ce n’est pas une nouveauté mais ça marche pas trop mal.

Le maître n’est pas trop supérieur (un peu orgueilleux même, comme dans Le Nom de la Rose aussi…), le jeune homme pas trop stupide, le lecteur n’est donc frustré ni par l’un ni par l’autre, même si parfois on sent venir trop longtemps à l’avance les révélations fracassantes, jouant pas mal sur des clichés déjà vus comme l’héritier caché ou la fille aînée qui se veut fils. L’inconvénient est qu’on n’est pas transporté, l’avantage est que l’ambiance est bien posée.

Des grosses pierres, de gros chevaliers, de gros sabots

Je n’ai pas douté avoir lu une histoire médiévale. Les châteaux sont en bonne pierre, fouettés par le vent et habité par des seigneurs normands brutaux et bagarreurs. Les paysans triment durs et s’écartent de la route quand une troupe d’homme en armes arrive au trot. Le forestier et le pêcher d’anguille rôdent à la périphérie de la communauté, taiseux et le regard sombre. Tous les détails ne sont certainement pas exacts mais on n’y prête guère attention : toujours il se passe quelque chose de typique, joli tour de magie de l’auteur qui attire les yeux là où il faut pour ne pas voir les trous aux coutures.

A la différence de la série centrée sur Galeran de Lesneven, les deux personnages principaux ont un passé, et certainement un futur. On peut donc espérer dans d’autres livres une montée en puissance de l’intrigue, au-delà de la simple enquête pseudo-policière. C’est peut-être ce qui pourrait pour moi faire la différence par rapport à pas mal d’autres romans médiévaux, car bien qu’il y en ai moult dans les rayons « polar » des librairies, ceux-ci se ressemblent souvent beaucoup trop à mon goût, me donnant l’impression de lire tout le temps la même histoire.

Quand à celui-ci plus particulièrement, eh bien c’est bien fait, pas trop mal écrit, assez complexe pour donner envie de lire le dénouement, et laisse présager de lendemains qui chantent. Mais ce n’est pas un chef d’œuvre, de la très bonne littérature de gare plutôt, et une source d’inspiration correcte pour du jeu de rôle.

Le Jeu de l’Ange, de Carlos Ruiz Zafon

Le Jeu de l'AngeÇa y est, j’ai fini les livres reçus à Noël (et ai fait une razzia en librairie pour les deux prochains moins), voici le dernier.

Il se déroule dans la Barcelone du début du XXe siècle, industrielle et sale, partagée entre riches et pauvres. On y suit plus particulièrement le destin de David Martin, futur écrivain, qui des piges pour un journal à une série de romans va grandir, littérairement et moralement. Soutenu par un riche mécène, il va faire son petit chemin de déception en déception. Il va notamment rencontrer un étrange éditeur lui promettant monts et merveilles contre un livre écrit selon ses directives. Confronté à une suite de morts dans son entourage il va prendre les devants et enquêter sur les machinations qui semblent se tramer autour de lui.

Débutant comme le roman d’apprentissage d’un écrivain et une histoire d’amour contrariée, il bascule peu à peu dans le fantastique et le policier. Le changement, c’est le point fort du livre, est subtil, lent et profond, influençant tout à la fois les personnages, leurs actions, mais aussi les décors dans lesquels ils évoluent, qui passent du Dickens au polar et au gothique. Cette plongée progressive dans une ambiance sombre et trouble est faite avec grand talent, qui ne rompt pas le charme malgré l’irruption d’éléments clairement fantastiques.

Le héros quant à lui n’est pas particulièrement sympathique. Il raconte l’histoire, une autobiographie fictive où il ne se met guère en valeur. S’il n’est pas sympathique, il est complexe, plein de doutes, d’espoirs et de déceptions mal digérées. Il s’intègre parfaitement dans l’ambiance du livre, et en joue, présentant en filigrane de sa vision du monde la réalité qu’il a du mal à percevoir à travers ses errements psychologiques. Pris au cœur d’une suite étrange d’évènements il va tenter tant bien que mal de s’en sortir, déroulant une enquête de polar plutôt classique sur le fond, émaillée de fantasmes et d’envolées littéraires.

C’est là d’ailleurs qu’on touche le point faible du livre : l’auteur esquive certaines questions, les explications de certains évènements. Peut-être les ai-je ratées ? En tout cas certaines réponses manquent à la fin, au-delà d’une incertitude propre au genre fantastique. L’auteur n’a peut-être pas trouvé la bonne façon de le donner ? Ou ne les connaissait-il pas ? Ce livre laisse en tout cas un goût d’inachevé, d’autant plus qu’on la lu très vite, emporté par un rythme qui s’accélère au fil de l’intrigue, maintenant en permanence le suspens sur la suite.

 

 

Rouge sombre, de Vivianne Moore

Rouge SombreJe cherchais des romans historiques situés au moyen âge à me mettre la dent, je suis tombé sur le nom de Viviane Moore, auteur française de romans historiques. Cherchant un de ses livres sur Amazon j’ai pris Rouge Sombre, qui avait des critiques honorables, 260 pages de médiévalités, et quelques recettes à la fin.

L’intrigue est assez simple et classique : un jeune chevalier un moine se rendent dans un monastère normand où des évènements étranges et des comportements suspects ont attiré l’attention de l’évêque local. En butte à l’hostilité des moines il saura par sympathie et ruse gagner les cœurs pour résoudre l’énigme de l’abbaye et dévoiler les lourds secrets que cachent les moines.

Peu de choses à voir avec Le Nom de la rose ceci dit. Là où Eco fait assaut d’érudition, disserte sur la sphère intellectuelle médiévale et présente des personnages savants, Viviane Moore est plus proche du peuple, ne démontre pas l’historicité de tout ce qu’elle avance et présente des personnages plus malins qu’érudits. L’intrigue elle-même est moins complexe, moins labyrinthique. Le format est en rapport évidemment, moins de trois cents pages en papier épais.

Le jeune chevalier est fort sympathique, à peine plus rusé que peu l’être le lecteur, juste équilibre entre un Hercules Poirot qui a six longueurs d’avances et une Lois Lane dont le manque de discernement est consternant (je ne veux pas gâcher la surprise mais vous n’avez pas senti un truc bizarre avec Clark ?). On peut s’y substituer, d’autant plus facilement qu’il est assez falot. Les personnages secondaires sont plus intéressants, peut-être parce qu’il ne leur est pas demandé de porter le regard du lecteur.

Le décor est bien planté, point ici de langue archaïque, de détails typiques à tire-larigot. L’intrigue elle-même est médiévale, utilisant des thèmes et des tabous bien connus de l’époque. A quelle autre époque serait-il question de vol de relique, de croisades ou d’exorcisme ? L’ambiance quant à elle est soulignée par de petits détails anodins, quelques mots anciens sur une page ou l’autre. L’auteur saupoudre sans noyer et pour cela fait bien son travail. L’ambiance n’est pas aussi immersive qu’elle pourrait l’être, mais est bel et bien là.

Les personnages sont faibles, l’intrigue aussi, les dialogues ne brillent pas par leur intelligence, mais le livre n’est pas raté pour autant, juste court et sans prétentions, divertissant sans être passionnant.