Blacksad, de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido
19 septembre 2011 4 commentaires
A la faveur de mon anniversaire je suis devenu l’heureux possesseur des quatre albums (les quatre seuls à être parus à ma connaissance) de Blacksad. Cette bande dessinée raconte les aventures d’un détective privé dans une ville rappelant l’Amérique des années 50.
Les immeubles, gigantesques, toisent des rues peuplées d’une foule hétéroclite. Les quartiers pauvres, petits immeubles et maisons bien défraîchis, abritent une faune interlope et surtout dangereuse. Les grandes villas de la périphérie, presque à la campagne, sont l’écrin de mœurs douteuses. Cette imagerie est bien connue, c’est celle des romans noirs américains, de Chandler ou d’Ellroy.
Blacksad ne révolutionne pas le genre, il le maîtrise parfaitement, aussi bien par l’écriture que dans le dessin. Il a aussi sur cette époque le recul d’années de production littéraire et cinématographique. Les auteurs peuvent ainsi prendre le risque d’animaliser leurs personnages, toujours humain mais avec une tête d’animal correspondant à leur caractère. C’est bien fait, très intégré dans le dessin où le corps prend aussi parfois des poses animales, très intégré dans l’histoire où les apparences correspondent parfaitement aux animaux choisis.
Quelque part dans les ombres
Le premier tome a une histoire simple, efficace et très classique : le meurtre d’une ancienne maîtresse met le privé sur la piste d’un pourri haut placé dans une grande ville de la côte est. Le graphisme surprend tout d’abord, très libres les couleurs ne restreignent pas au trait, rappelant parfois la peinture plus que le dessin comme on peut le voir sur la couverture. Il fait peut-être par moment l’impasse sur les détails, esquissant plutôt les paysages. Il en va de même avec les personnages, des clichés du genre mine de rien assez prévisibles.
Arctic-Nation
Le tome suivant emmène le lecteur dans une banlieue pourrie, économiquement sinistrée après la fermeture d’une usine d’armement après-guerre. Blacksad y va chercher le ravisseur d’une petite fille, crime dénoncé par la maîtresse de l’école locale. Le dessin regagne ici ses droits, un peu plus classique que dans le précédent opus. Mais la grande force de cet épisode est son histoire.
Si il traite principalement du racisme (bonne idée que cet Arctic-Nation, parti d’animaux blancs, donc des neiges, qui veut se débarrasser des noirs et des métissés) cet album effleure aussi des thèmes sociaux avec la fermeture de l’usine pourvoyeuse d’emplois et le regard aux enfants, qui m’a semblé lui très moderne. C’est l’occasion cette fois de développer des personnages plus complexes. Leur passé et leurs motivations étant les éléments moteurs de l’intrigue, plus que l’enquête policière stricto-sensu, ils sont très agréablement détaillé. C’est mon album préféré.
L’Âme rouge
Le troisième est une plongée dans le monde intellectuel des années 50, la contre-culture et le maccarthysme. Le rouge du titre est d’abord celui des communistes, réels ou supposés, et celui de la passion, en Blacksad et une belle auteure. Le dessin se normalise quelque peu tout en restant de très belle facture : les angles de vue sont plus classiques, moins de plongées et de contre-plongées, plus de dialogues, les visages animaux sont moins présents, plus humains.
Le scénario est aussi légèrement en dessous. Pas qu’il ne soit pas intelligent, au contraire il est même plutôt retors avec plusieurs fausses pistes. Mais certains développements sont un chouïa trop tirés par les cheveux à mon goût, en tout cas par rapport à l’ensemble de la BD, par ailleurs très réaliste. Peut-être aussi que trop de personnages sont présentés, faisant perdre de leur impact aux principaux, l’intrigue amoureuse ralentissant un peu trop rythme. Ce n’est pas mauvais, loin de là c’est même très bon, juste en-dessous d’Arctic-Nation.
L’Enfer, le silence
Enfin le dernier, intitulé avec goût, part à la Nouvelle-Orléans, dans le milieu des jazzmen et de leurs producteurs. Comme d’habitude les auteurs maîtrisent les codes : entre le pénitencier, la drogue et le vaudou l’ambiance est extrêmement bien rendue, plus particulière aussi, grâce au lieu choisi, que celle des albums précédents. Le dessin fourmille de détails anodins qui font de chaque planche un régal à lire puis à parcourir à nouveau, l’œil gourmand.
Le personnage de Weekly, sidekick depuis Arctic-Nation, prend enfin toute son ampleur avec quelques planches qui lui sont vraiment consacrées, pas juste en tant qu’auxiliaire fidèle. Les différents musiciens et le producteur ont chacun leur lot de motivations, humaine et cohérentes je précise, qui se révèlent peu à peu. L’enquête elle-même n’est pas sans surprises avec un dénouement qui satisfait pleinement la curiosité. C’est après Arctic-Nation mon préféré.
Alors certes Blacksad ne révolutionne pas la bande dessinée et il emprunte beaucoup à d’autres œuvres, mais c’est pour moi un classique, court et nerveux avec plus de profondeur et de détails à creuser qu’on pourrait le penser pour du roman de gare.