Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, de Michel Pastoureau

Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, de Michel PastoureauCe petit livre m’a attiré l’œil, il est mine de rien assez rare de voir un livre de poche sur ce genre de thème en tête de gondole à la Fnac. Peut-être que la parution de l’énorme bestiaire médiéval du même auteur lui a donné un coup de fouet ?

L’essence du Moyen-Âge

J’aime l’histoire, j’aime les récits de bataille de trahisons et d’épopées épiques mais j’aime aussi beaucoup l’histoire des idées d’époques passées. C’est là peut-être qu’on touche le plus à ce qui les rend différente, étranges à notre regard contemporain. Le Goff est très bon à ce jeu, que ce soit dans un regard global ou cliché après cliché médiéval. Il fait revivre une autre manière de penser.

Ce n’est pas tout à fait le chemin que suit ce livre. Plutôt que de montrer, il explique, documente et analyse les symboles médiévaux. Il le fait avec talent, dans une langue précise mais toujours claire, et illustre même ses propos d’une dizaine de pages couleurs (en feuillet central, chose rare pour un poche mais précieuse vu la thématique).

L’introduction est peut-être la meilleure partie du livre. En une (trop courte) vingtaine de pages elle situe très simplement, à grand renfort d’exemples, la place du symbole dans la mentalité médiévale. Elle montre son rôle social, son lien avec la réalité, sa construction interne, ses règles souvent troubles et apparemment contradictoires.

Un recueil d’articles

L’auteur enchaine ensuite sur différents thèmes plus spécifiques, ayant souvent fait l’objet d’articles séparés. Les procès d’animaux débordent un peu du sujet mais sont intéressants. Les oppositions lion/ours et cerf/sanglier sont très bien vues, illustrant les modifications des symboles avec le temps, sous l’influence notamment de l’Église. C’est fait à l’aide de nombreuses descriptions des interventions de ces animaux, vivants ou représentés, dans la vie médiévale. Il agit de même en étudiant le lys et le bois, deux végétaux qu’on associe facilement à l’époque, pour des raisons bien différentes. Les deux chapitres qui y sont consacrés montrent bien que ces représentations tiennent beaucoup à l’organisation sociale du moyen-âge.

La partie sur les couleurs et l’héraldique est aussi très réussie. Facilement accessible, elle présente une vision de la couleur bien lointaine de nos arcs-en-ciels prismatiques et des nuanciers Pantone. Elle a toutefois le défaut de verser par moments dans le hors-sujet, que ce soient les drapeaux des XIXe et XXe siècles ou la place de la couleur chez les protestants. C’est certes dans le thème car il y est toujours question de symboles, qui s’affrontent ou se répondent, en tout cas façonnent les esprits, mais dans le titre du livre il y a bien marqué « Moyen Âge » ! Cela n’en est pas moins passionnant, et ceci dit les parties incriminables sont très mineures en nombre de pages.

En conclusion, je dirais que c’est un terreau à idée pour faire du jeu de rôle dans un univers médiéval, pour lui donner une ambiance qui ne soit pas juste médiéval-fantastique. c’est intéressant dans le regard que porte l’auteur sur une période différente. C’est agréable à lire et jamais ennuyant. C’est un très bon livre.

Frédéric de Hohenstaufen, de Jacques Benoist-Méchin

Frédéric de HohenstaufenAprès Le Saint Empire Romain Germanique j’avais besoin pour préparer ma campagne Ars Magica dans le Tribunal du Rhin d’informations plus précises sur l’Empire au XIIIe siècle. D’après les livres que j’ai cité (et celui Les Croisades vues par les Arabes, excellent livre d’Amin Maalouf) Frédéric II est le souverain marquant de cette période. Il faudrait peut-être que je songe à prendre un abonnement chez Tempus, ça va me revenir cher à force…

De l’enfant du miracle à l’Étonnement du Monde

Dès l’introduction le ton est donné : sur cet enfant, petit fils du célèbre Frédéric Barberousse, né à Noël, roi puis empereur, se sont penchés tous les anges et démons de l’époque. Quelques prophéties sont amenées sur le tapis et après une belle introduction au contexte politique de la fin du XIIe siècle on entre dans le vif du sujet. Son père Henri IV, homme fort et déterminé, sa mère Constance, amenant la Sicile en dot, les intrigues des différentes cours d’Italie et de Sicile, entre évêques, papes, capitaines allemands et nobles locaux, cette histoire aux personnages hauts en couleurs se suit sans temps mort avec la jubilation de voir triompher l’enfant royal sur les loups. On pourrait presque parler de roman d’apprentissage, car le futur Saint Empereur Germanique va de maître en mentor, progressant à vue d’œil en finesse politique.

Suit la montée vers le trône impérial, le jeu de chassé-croisé avec Otton IV, présenté comme un usurpateur du trône des Hohenstaufen, défait par Philippe Auguste à la grande bataille de Bouvines (note en passant : c’est impressionnant le nombre de symboles nationaux qui se croisent à cette époque), laissant le champ libre à celui qui n’était guère que roi de Sicile. Il ceint la couronne de Charlemagne puis va guerroyer avec les cités lombardes et le Pape pour être sacré Saint Empereur Romain, laissant son fils Henri, encore mineur « régner » sur le Royaume d’Allemagne. Quelques batailles, sacs de villes et coups tordus plus tard on le retrouve  prêt à partir en Croisade comme promis à Rome lors de son sacre. La maladie le forçant à procrastiner, le Pape en profite pour l’excommunier !

Partant malgré tout quelques temps plus tard pour la Sixième Croisade, Frédéric retrouve en Terre Sainte son ami le Sultan d’Égypte qui lui avait promis Jérusalem. Quelques messagers et une bataille pour la galerie lèvent l’hypothèque : la ville sainte est « reconquise ». Triomphateur, il met ses affaires en ordres aussi bien qu’il le peut, les Templiers et Hospitaliers n’attendant qu’un prétexte pour reprendre la guerre sainte, puis rentre en Italie. Même le Pape ne peut plus rien refuser à celui qu’on appelle alors « stupor mundi », l’étonnement du monde. C’est en tout cas plus simple que le titre dont il se pare dans ses décrets : Imperator Fridericus secundus, Romanorum Caesar semper Augustus, Italicus Siculus Hierosolymitanus Arelatensis, Felix victor ac triumphator. Il peut alors enfin profiter de la vie, entouré d’une nombreuse cour, célèbre (et critiquée) pour le nombre de femmes et de savants (astrologues, traducteurs, mathématiciens et érudits de toutes sortes et conditions), occupé à légiférer et guerroyer.

Mais si il fait alors de la Sicile un état centralisé et efficace, presque totalitaire selon l’auteur, il laisse la bride sur le cou des princes allemands, allant jusqu’à châtier son fils Henri qui voulait renforcer son pouvoir quitte à aller à l’affrontement avec la haute noblesse. Il s’épuise cependant en guerres contre les cités lombardes toujours rebelles. Après sa mort son fils Conrad IV tente de lui succéder mais se brise sur le même écueil, ainsi que le reste de sa descendance. Les Hohenstaufen s’éteignent alors, la légende prend le pas sur l’histoire.

Une vie comme un roman tragique

Le bouquin pèse bien ses 550 pages, très denses, auxquelles peuvent s’ajouter pour le lecteur intéressé des documents historiques (lettres et décrets des protagonistes) en annexe et un solide corpus de notes en fin d’ouvrage, avant l’index et la bibliographie. Je me suis contenté de la biographie proprement dite, agrémentée, c’est rare pour un poche, d’un bon nombre d’illustrations en noir et blanc accompagnant le texte. La plume de l’auteur est agréable à lire car il ne se contente pas de décrire les évènements mais y entremêle une foultitude d’anecdotes et de détails sur l’époque. Cela se lit comme du petit lait et j’ai tourné les pages avec plaisir et empressement pour savoir ce qui allait arriver ensuite. C’est rare d’avoir une plume aussi enlevée pour une biographie mine de rien très documentée.

Ceci dit cette qualité d’écriture se fait souvent aux dépends de la rigueur, parfois même de la véracité quand une prophétie attribuée à Merlin (oui, l’enchanteur breton !) est citée sans source. Frédéric est traité comme un personnage de roman, avec ses états d’âme que l’auteur cherche à percer, ses qualités et défauts de caractère, ses obsessions et ses manies. Cela rend évidemment le lecteur plus proche du personnage mais la justification de ces affirmations m’a souvent semblé bancale, en tout cas assez obscure. A la lecture on ressent aussi l’admiration inconditionnelle de l’auteur pour son sujet, qui va jusqu’à chercher des excuses pour ce pauvre Frédéric quand il fait des erreurs d’appréciation.

On sent aussi son regret devant l’échec de l’empire à s’étendre et se consolider. Admiration pour les grands hommes ? Souhait d’un empire européen ? Ce n’est pas très étonnant quand on sait que Jacques Benoist-Méchin a collaboré quelques temps avec Vichy (ce que bizarrement l’éditeur s’abstient de préciser dans sa présentation de l’auteur, mais Wikipedia est plus disert), avant de se ranger et d’écrire des livres d’histoire. Il y a un présupposé idéologique, pas de racisme ou de nazisme non, mais une certaine forme de bonapartisme pan-européen qui peut gêner à l’occasion, quand il devient trop évident dans la narration et la fait verser dans l’hagiographie.

Un moment de bravoure

L’auteur conte à merveille l’histoire de cet empereur qui va tenter de s’élever aussi haut que les empereurs romains, mêlant avec talent la grande histoire, les évènements majeurs et les petits détails anecdotiques. Que ce soit pour avoir des idées pour une campagne de jeu de rôle, pour se cultiver ou se distraire c’est un très bon ouvrage. Par contre je ne sais pas si il est pertinent sur le plan historique, d’autant qu’écrit dans les années 60 il a peut-être déjà été dépassé par des publications plus récentes, mais non disponibles en poche. Pour moi il valait en tout cas son poids.

Le Saint Empire romain germanique, de Francis Rapp

Le Saint Empire romain germanique, d'Otton le Grand à Charles QuintMe lançant dans une nouvelle campagne d’Ars Magica, sise en Allemagne médiévale cette fois, je me suis penché sur l’histoire locale, en l’occurrence celle du Saint Empire Romain Germanique. Comme indiqué sur la couverture ce livre se concentre sur la période allant d’Otton le Grand à Charles Quint. Foin de habsbourgeries et charlemagnations, il s’agit bien de l’empire bas-médiéval, centré sur l’Allemagne.

Une notion d’empire multi-séculaire

Plus qu’un récit historique, ce livre est l’étude d’un objet politique spécifique : le Saint Empire romain, tel que ressuscité par les Ottoniens entre Aix-la-Chapelle et Rome au début du Xe siècle, s’achevant avec la lutte entre les Habsbourg et les princes protestants.

Cet empire est bâti sur les ruines de l’Empire carolingien, lui-même bâti sur celles de l’Empire romain, catholique évidemment, version Constantin ou Justinien. Ce n’est alors plus une construction politique, après quelques siècles d’absence et face à l’Empire byzantin,  il n’en reste qu’une idée : celle d’une unité de la chrétienté occidentale, morcelée depuis Louis le Pieux en multiples royaumes féodaux et attaquée sur ses bordures par les païens ou les mahométans. La trajectoire en est bien expliquée, clairement détaillée étape par étape, à la fois avant la résurrection de l’empire par Conrad Ier et durant la vie du Saint Empire jusqu’au XVe siècle. J’ai beaucoup apprécié les comparaisons fréquentes entre l’évolution qu’a suivi l’idée d’empire, s’émancipant petit à petit de l’exemple romain, et la réalité du pouvoir de l’empereur, souvent plus roi d’Allemagne qu’autre chose, peinant à transcendant son statut de noble.

Cela inclut bien sûr la querelle des investitures, conséquence évidente de cette conception politique : où mettre la limite au pouvoir de l’empereur quant son empire se confond avec la chrétienté ? l’empereur nouveau tient-il son pouvoir de Dieu, des princes allemands ou du pape qui le sacre ? Cette partie de l’histoire est remarquablement bien présentée, ses conséquences sur la destinée du Saint Empire en Italie et en Allemagne sont bien explicitées, les points de vue des théoriciens des deux bords sont agréablement vulgarisées et mis en perspectives avec les actions des différents représentants de l’Église, la querelle étant montrée aussi dans la fracture qui se creuse à l’intérieur l’Église, par exemple entre le pape et les évêques allemands.

Un sac de noeuds de 50 millions d’hectares

Cela inclut aussi le rapport entre cet empereur élu par les princes germains et ses électeurs : manifestent-ils la volonté divine comme le fait la Curie romaine dans l’élection du pape ? L’empereur tient-il son pouvoir d’eux ou de Dieu ? peut-il passer à son fils ses titres ou ceux-ci sont-ils entre les mains des électeurs ?

L’auteur donne un aperçu des intrigues et des guerres menées par différentes familles (les Ottoniens, les Saliens puis les Welf et les Staufen) en racontant l’histoire de la couronne sur un mode chronologique très classique. Machin fait ci, se fait battre par bidule, se reprend et avec l’aide de truc reprend ses terres à … On voit bien la progression depuis les duchés ethniques, les tentatives des empereur pour donner à la monarchie un caractère sacré et héréditaire (de manière similaire à ce que les Capétiens ont réussi en France), puis peu à peu le renforcement de la puissance des princes, l’hérédité qui leur est concédé par un empereur affaibli par ses querelles avec l’Église et enfin la « vente » de la couronne au mieux-disant.

Le problème est que si la langue est claire, le propos manque souvent de profondeur. Des noms apparaissent puis disparaissent à un rythme rapide, parfois sans même une explication (un problème de relecture et de correction qui m’a semblé récurrent tout au long du livre). On a comme une impression de l’avancée de l’histoire, du déclin de familles jadis puissantes, une roue de fortune emballée, sans hélas jamais entrer dans les détails. Comme si l’auteur avait voulu parler de tout sans en avoir la place (le livre fait moins de 400 pages), ce qui m’a frustré du début à la fin du livre.

Notes d’étudiant ou poly du professeur ?

Pas un mot ou presque sur les paysans, mais ce n’est pas le propos, il s’agit là d’histoire de batailles et de politique avant tout comme annoncé sur la première et la dernière de couverture. C’est tout de même dommage car le livre ne donne qu’un rapide aperçu de la période, aboutissant plus à une ambiance qu’à une véritable connaissance et aurait pu bénéficier d’une approche plus globale du Saint Empire. Quelques personnages (Otton I et III, Henri IV, Frédéric Barberousse ou Frédéric II par exemple) surnagent et apportent leur humanité mais la plupart ne sont guère approchés, le récit restant très factuel voire même superficiel quant à leurs actions. Cela m’a fait l’effet d’être un résumé de cours, bien fait mais qui aurait mérité plus de travail avant de paraître en livre.

 

Une histoire du diable, de Robert Muchembled

Une histoire du diableJ’ai acheté ce livre suite à une interview télévisée de l’auteur. J’avais je dois le dire été impressionné par son talent de conteur (bien mis en avant par le monteur de l’émission ?), il mettait fort bien en perspective les chasses aux sorcières de la renaissance et l’engouement pour les faits divers  au début du XXe siècle.

Ceci n’est pas un livre sur le diable

C’est plutôt un livre sur la représentation du diable. Non c’est encore incorrect, c’est un livre sur la représentation du Mal (avec le grand ‘M’) à travers l’écrit et l’image. Cela va du moyen-âge au XXe siècle, des histoires de diable aux cultes fondamentalistes américains en passant par les sorcières et les histoires macabres. C’est dire si le spectre de l’objet de cette étude est large !

Heureusement l’auteur sait il veut aller. Il compare, fait noter les transitions, lie les évènements, caractérise les époques. D’un énorme magma culturel il tire une histoire, illustrée ça et là de citations exemplaires, très référencée pour l’étudiant, pleine d’anecdotes pour le curieux, ne rechignant pas fréquemment à conter plus qu’à démontrer. D’une grande érudition, il la montre et la met en scène à travers différentes époques.

On en voit le bout de la queue, pas les cornes

Ce n’est pas une somme : 360 pages sans les notes, 40 pour celles-ci. Mais ça reste assez complet, montrant pour chaque époque divers types de sources : libelles populaires, récits, traités de théologie, démonologie ou morale, peintures, films, chansons, etc. C’est toute une culture populaire et savante qui est mise à contribution pour montrer la trace du démon dans la pensée d’une époque.

C’est bien fait, l’auteur montre et explique tout à la fois, a parfois recours aux statistiques pour généraliser son propos au-delà de la sphère culturelle. Il s’attarde aussi de nombreuses fois sur des faits divers, des procès en sorcellerie, des tumultes populaires ou ecclésiastiques contre des satanistes, ou en tout cas de pauvres hères ainsi étiquetés. Par un passage constant, une navette infatigable, de la petite histoire à la grande il met en relief les caractéristiques d’une époque et ancre pour chacune une image forte, pas simpliste car faite d’un concert de voix parfois discordantes.

Une couverture trop petite pour un grand lit diabolique

Le seul vrai défaut du livre à mon goût est que malgré un spectre historique large l’auteur brille surtout sur les temps modernes (ici de 1400 à 1800 pour simplifier). Là l’érudition est impeccable et les exemples nombreux. La période médiévale antérieure est très rapidement traitée : juste pour mentionner que les chasses aux sorcières débutent à la renaissance et que le diable médiéval est plutôt bouffon. L’antiquité est à peine évoquée, quelques mots sur Saint Augustin et on passe à la suite. De même la période contemporaine est plus ténue, tournant surtout autour du fantastique.

Par contre de la Renaissance aux Lumière (qui si j’en crois la bibliographie de l’auteur en fin d’ouvrage est sa spécialité) c’est impeccable, avec ce qu’il faut de détails pour recréer la mentalité d’une époque révolue, s’en faire une image mentale peut-être pas exacte mais très vivante. Non seulement il dépeint la représentation diabolique, mais il montre comment elle est mise en scène pour appuyer les opinions des un et des autres, sur les femmes (les sorcières ne sont pas loin), le corps et la vie en communauté.

Au final le livre est un peu inégal, avec un point d’orgue sur l’Ancien Régime, mais toujours très intelligent. Parfois un peu succinct, le propos reste court et évite l’encyclopédisme et le pédantisme. C’est un très bon essai, entre la vulgarisation et la recherche qui couvre un sujet plus intéressant et plus prégnant à travers l’histoire qu’on ne pourrait le croire au premier abord.

Une petit ville nazie, de William S. Allen

Une petite ville nazie, de William S. AllenLa seconde guerre mondiale n’est pas ma période historique préférée, j’avoue un tropisme certain pour les boîtes de conserve médiévales et les toges antiques. Trop proche, trop documentée, trop militaire, cette période n’a pas pour moi l’intérêt d’époques plus reculées, plus propices au rêve et à l’idéalisation. Cependant je suis tombé par hasard en manipulant ma radio sur une émission très intéressante parlant de ce livre. J’ai eu envie d’en savoir plus…

Une petite ville ordinaire

L’auteur, historien américain, suit une petite ville d’Allemagne, de 1930 à 1935, c’est à dire la montée du parti nazi, son arrivée au pouvoir et l’établissement de sa main-mise totalitaire sue la société. Cette petite ville est bien éloignée des débats politiques de la capitale, qui ne lui viennent qu’épisodiquement par des journaux, des harangueurs de foules itinérants ou des sections locales de partis nationaux.

On suit plus particulièrement certaines personnes, notables ou politiquement engagés, que l’auteur a interviewés (et caché derrière des pseudonymes), ainsi que les articles des journaux locaux, soit par des citations d’articles marquants soit par des statistiques, par exemple sur le nombre de bagarres et de meetings. Il y a un véritable travail d’historien et de recherche derrière ces pages.

Toutes ces données ne sont heureusement pas infligées au lecteur mais reléguées en annexe, le livre étant le récit tissée sur ces faits, le journal d’un habitant plus observateur que la moyenne. On a l’impression d’être accoudé au café du commerce, là où tous passent et discutent, entre eux, de la politique vue par le petit bout de la lorgnette, ou tout bêtement celui qui ne sait pas encore ce qui pour nous est si évident.

Des gens bien ordinaires

Cette petite ville est peuplée de gens tout aussi ordinaires. Ouvrier, notables, petits commerçants, rien d’exceptionnel. Et pourtant le nazisme triomphe. L’auteur cherche à répondre au comment, par le pourquoi. Pourquoi ces gens ordinaires ont-ils soutenu les nazis ? Pourquoi se sont-ils laissés nazifier après l’arrivée d’Hitler au pouvoir ?

La première partie montre comment l’idée démocratique disparaît du débat. La tactique politique de chaque parti un décryptée, montrant d’un côté des partis de gauche puissants mais sur la défensive, n’essayant pas de convaincre au-delà de leurs fidèles, de l’autre un parti nazi bien encadré qui part de pas grand-chose et transforme toute conquête en acquis durable. Au milieu les partis du centre et de droite républicaine font de la figuration, grignotés par l’extrême-droite.

Plus que voir, on sent se cristalliser dans les mentalités l’idée que le NSDAP est LA solution aux problèmes économiques (chômage endémique) et sociaux (menace des communistes), alors que l’attachement à la démocratie s’efface devant la peur du désordre. Ces nazis apparaissent après tout comme de bons allemands, souvent serviables, bien organisés et soutenus par des gens comme il faut, peut-être un peu violents mais il le faut bien pour lutter contre les rouges, n’est-ce pas Monsieur Michu ?

Comme détruire une société, résumé en 350 pages

La seconde partie, commençant après la nomination d’Hitler comme chancelier en janvier 1933, relate l’établissement de la main-mise nazie sur l’ensemble des habitants de la ville. On y assiste impuissant, voyant se verrouiller la société bien pensante de cette ville, navré de l’impuissance des socialistes qui laissent leurs armes patiemment collectées dormir dans leurs cachettes.

D’une part le parti nettoie toutes les organisations politiques, économiques ou sociales locales. Il s’arrange pour y faire élire des nazis, intimide les responsables ou les dissout arbitrairement au nom de la sécurité, après avoir organisé provocation après provocation. D’autre part il instaure un climat de menace, où personne ne sait trop ce qu’on pourrait lui reprocher. Cette atomisation de la société est très finement décrite.

Ce livre laisse donc un goût amer. La fin ne surprend pas mais il y a un fossé entre la connaître et la vivre par l’intermédiaire du récit de personnes réelles, voir tout le processus disséqué et explicité. C’est d’ailleurs pour cela un des meilleurs livres d’histoire que j’ai pu lire,  tout à la fois érudit et viscéral. Bien loin de certains exposés sans âmes il est très vivant, sous pour autant ne s’attarder que sur le bruit et la fureur des combats.