Une histoire du diable, de Robert Muchembled

Une histoire du diableJ’ai acheté ce livre suite à une interview télévisée de l’auteur. J’avais je dois le dire été impressionné par son talent de conteur (bien mis en avant par le monteur de l’émission ?), il mettait fort bien en perspective les chasses aux sorcières de la renaissance et l’engouement pour les faits divers  au début du XXe siècle.

Ceci n’est pas un livre sur le diable

C’est plutôt un livre sur la représentation du diable. Non c’est encore incorrect, c’est un livre sur la représentation du Mal (avec le grand ‘M’) à travers l’écrit et l’image. Cela va du moyen-âge au XXe siècle, des histoires de diable aux cultes fondamentalistes américains en passant par les sorcières et les histoires macabres. C’est dire si le spectre de l’objet de cette étude est large !

Heureusement l’auteur sait il veut aller. Il compare, fait noter les transitions, lie les évènements, caractérise les époques. D’un énorme magma culturel il tire une histoire, illustrée ça et là de citations exemplaires, très référencée pour l’étudiant, pleine d’anecdotes pour le curieux, ne rechignant pas fréquemment à conter plus qu’à démontrer. D’une grande érudition, il la montre et la met en scène à travers différentes époques.

On en voit le bout de la queue, pas les cornes

Ce n’est pas une somme : 360 pages sans les notes, 40 pour celles-ci. Mais ça reste assez complet, montrant pour chaque époque divers types de sources : libelles populaires, récits, traités de théologie, démonologie ou morale, peintures, films, chansons, etc. C’est toute une culture populaire et savante qui est mise à contribution pour montrer la trace du démon dans la pensée d’une époque.

C’est bien fait, l’auteur montre et explique tout à la fois, a parfois recours aux statistiques pour généraliser son propos au-delà de la sphère culturelle. Il s’attarde aussi de nombreuses fois sur des faits divers, des procès en sorcellerie, des tumultes populaires ou ecclésiastiques contre des satanistes, ou en tout cas de pauvres hères ainsi étiquetés. Par un passage constant, une navette infatigable, de la petite histoire à la grande il met en relief les caractéristiques d’une époque et ancre pour chacune une image forte, pas simpliste car faite d’un concert de voix parfois discordantes.

Une couverture trop petite pour un grand lit diabolique

Le seul vrai défaut du livre à mon goût est que malgré un spectre historique large l’auteur brille surtout sur les temps modernes (ici de 1400 à 1800 pour simplifier). Là l’érudition est impeccable et les exemples nombreux. La période médiévale antérieure est très rapidement traitée : juste pour mentionner que les chasses aux sorcières débutent à la renaissance et que le diable médiéval est plutôt bouffon. L’antiquité est à peine évoquée, quelques mots sur Saint Augustin et on passe à la suite. De même la période contemporaine est plus ténue, tournant surtout autour du fantastique.

Par contre de la Renaissance aux Lumière (qui si j’en crois la bibliographie de l’auteur en fin d’ouvrage est sa spécialité) c’est impeccable, avec ce qu’il faut de détails pour recréer la mentalité d’une époque révolue, s’en faire une image mentale peut-être pas exacte mais très vivante. Non seulement il dépeint la représentation diabolique, mais il montre comment elle est mise en scène pour appuyer les opinions des un et des autres, sur les femmes (les sorcières ne sont pas loin), le corps et la vie en communauté.

Au final le livre est un peu inégal, avec un point d’orgue sur l’Ancien Régime, mais toujours très intelligent. Parfois un peu succinct, le propos reste court et évite l’encyclopédisme et le pédantisme. C’est un très bon essai, entre la vulgarisation et la recherche qui couvre un sujet plus intéressant et plus prégnant à travers l’histoire qu’on ne pourrait le croire au premier abord.

One Response to Une histoire du diable, de Robert Muchembled

  1. Ping: Idées en vrac pour un nouveau système Ars Magica

Laisser un commentaire